Pourquoi la Suisse est sur une autre longueur d’onde que l’UE
Pour organiser la relation entre la Suisse et l’Union européenne, il suffit de faire appel à la raison. C’est ce que réclament bon nombre de politiciennes et de politiciens. Oliver Zimmer, professeur d’histoire à l’Université d’Oxford et directeur de recherche à l’institut de recherche zurichois CREMA à compter du 1er janvier 2022, explique à la «NZZ» pourquoi cette exhortation est naïve. Pour lui, «on ne peut expliquer les différences entre les institutions et les sensibilités politiques en Europe sans le concept de mentalité.» Le gouffre qui sépare l’Union européenne et la Suisse a, selon l’historien, des origines profondes. Le processus de construction de la nation est ainsi fondamentalement différent en Suisse et dans les pays voisins. Le modèle centralisé à la française s’oppose au schéma anarchique de la Confédération. Dans le modèle centralisé, «l’État apparaît comme le gardien de la vérité et le civilisateur de ses citoyens.» Le théoricien de l’État Emmanuel Joseph Sieyès (1748-1836) tenait l’autonomie locale pour «un signe de retard». Dans le schéma de construction anarchique de la nation, l’État se construit en revanche en partant de la base. Sa structure, écrit Zimmer, manque d’«élégance géométrique». Vue de l’extérieur, elle semble confuse, ce qui explique pourquoi certains parlent de «patchwork». L’historien Herbert Lüthy pensait donc que la mentalité de la Suisse était plus accessible «à un Congolais attaché à sa tribu et à son village qu’à l’un de nos voisins français». Quoi qu’il en soit, les cantons du Valais, de Genève et de Neuchâtel ont autrefois décidé leur rattachement à la Suisse, et non à la France ou à l’Italie. Zimmer conclut que la Confédération archaïque pourrait bien avoir engendré plus de modernité que les brillants philosophes de l’État: «L’esprit et la réalité de la centralisation n’encouragent pas le progrès: ils l’entravent.»
Conseil de lecture (en allemand):
Oliver Zimmer, Wer hat Angst vor Tell? Unzeitgemässes zur Demokratie, Echtzeit-Verlag, 2020